Le Journal Parlé de France Inter dans les années 1960

03-12-2013

Béatrice Donzelle annonce la tenue de sa soutenance de thèse d’histoire culturelle sur « Le Journal Parlé de France Inter dans les années 1960. Journalisme de service public et propagande en démocratie », le vendredi 6 décembre 2013 après-midi à l’Université de Versailles – Saint-Quentin-en-Yvelines, menée sous la direction de Christian Delporte.

Le constat d’une culture populaire en développement pousse le ministère de l’Information  à créer en 1963 une station de radiodiffusion de type généraliste à destination du « grand public ». Il s’agit d’utiliser les moyens médiatiques de masse pour informer, éduquer, divertir, et cultiver les citoyens, mais aussi pour asseoir la communication gouvernementale. La radiodiffusion est alors encore très largement devant la télévision, en termes d’équipement, de moyens de diffusion, et d’usages. Les journalistes et les journaux parlés de la station sont soumis à la tutelle du ministère de l’Information, notamment à travers le service de liaison interministériel pour l’information (SLII) et les briefings, réunions périodiques au cours desquelles le ministre reçoit les journalistes de la presse écrite, de la télévision, et de la radiodiffusion publique et privée. Cette mise sous contrôle est complétée par une restriction des moyens d’actions des journalistes face à leur hiérarchie, et accompagnée d’une politique de relations publiques interne à l’établissement. Cependant, les journalistes de France Inter veillent au quotidien à préserver leur autonomie et à respecter les principes déontologiques de leur profession.

Du lancement de France Inter en octobre 1963 à l’élection présidentielle en décembre 1965, le journal parlé prend le visage d’un instrument d’éducation civique à destination du grand public, avec l’objectif d’expliquer le réel et de lui donner du sens, tout en assurant la rapidité et la permanence de l’information face à la concurrence d’Europe n°1. Les pratiques, ancrées dans la tradition journalistique française, mêlent journalisme de collecte, et « new journalism ». De 1966 à l’été 1967, le journal s’oriente vers un style plus populaire, et use, pour tenir tête à la télévision, de procédés de séduction du public. La rédaction applique une séparation stricte des faits et des commentaires. Si la première période est caractérisée par la production d’un « discours » journalistique, la deuxième se distingue nettement par un recul du discours au profit du « récit ». Puis, à partir de l’automne 1967, récit et discours journalistiques se côtoient, de même que se mêlent, au sein d’éditions différentes, journalisme d’information et journalisme de communication.
Les états-majors de la radiotélévision publique et de la tutelle opposent la notion « d’information », vécue comme facteur de démocratie, à celle de « propagande », considérée comme malhonnête, manipulatrice, aliénante, et antidémocratique. S’ils rejettent et dénient l’idée d’avoir recours à des procédés propagandistes, la volonté d’influencer les journalistes de l’ORTF, et, par leur intermédiaire, l’opinion publique, est réelle. Dans le traitement de l’actualité diplomatique par le JP de France Inter de 1963 à 1969, cela passe notamment par une approche gallocentrée des événements mondiaux, une volonté de redéfinir les équilibres internationaux, d’amplifier le rôle de la France sur la scène mondiale, et d’amoindrir le poids des deux grandes puissances que sont les Etats-Unis et l’URSS. Dans la couverture de l’actualité intérieure, la politique de sensibilisation à la régionalisation s’inscrit dans une action de communication gouvernementale de longue durée. De même, pour assurer le maintien au pouvoir des gaullistes à l’issue de l’élection présidentielle de 1965, le SLII exerce une action permanente sur les producteurs du JP. Enfin, le conflit qui oppose la rédaction de France Inter à sa direction et au gouvernement lors des événements de 1968 illustre le poids des contraintes que représentent pour les journalistes ces tentatives d’orientation de l’opinion, mais révèle aussi leur capacité de résistance face aux pressions hiérarchiques et leur attachement au principe du droit à l’information.