Médias de source

26-04-2009

Les éditions du Sénat publient la thèse que Francisco Sant’Anna a consacré aux médias de sources, expression qu’il a fondée pour décrire un phénomène très important au Brésil et qui ne manque pas de grandir ailleurs : les médias (tous supports) que créent des organisations publiques, professionnelles, associatives, politiques, économiques. Lire ci-dessous la préface de l’ouvrage.

MÉDIA DE SOURCE. Un nouvel acteur sur la scène médiatique brésilienne. Un regard sur l’action médiatique du Sénat fédéral du Brésil, Les documents de travail du Sénat, 2009.

La recherche sur les médias de sources que conduit Fancisco Sant’Anna témoigne d’une évolution importante du regard des sciences sociales sur les médias et le journalisme. En effet, F. Sant’anna s’est saisi d’un objet d’une grande banalité, historique et quantitative, et qui pourtant n’avait jamais été étudié sérieusement : le lien organique entre des organisations (économiques, sociales, politiques, étatiques) et les médias qu’elles créent.
Au Brésil, les deux premiers journaux, le Correio Braziliense et la Gazeta do Rio de Janeiro, édités en 1808, étaient des médias de sources au sens où ils furent voulus, créés et instrumentalisés par des forces politiques influentes qui estimaient efficace de diffuser des supports d’information faisant écho de leurs actes et de leurs opinions. En France, la création de la Gazette, en 1631, ne fut possible que parce que le pouvoir royal estimait utile de donner une certaine publicité à ses actes ; plus tard, il favorisera une presse savante car il souhaitait que soient connues et acceptées des idées nouvelles nécessaires à la modernisation technique. Dans les villes de province, la presse ne put émerger au 18e siècle qu’avec le soutien des autorités qui voyaient dans le média le moyen de promouvoir une identité locale. La presse est née dans le giron du pouvoir, et elle n’a jamais délaissé cette relation souvent symbiotique. Certes des journaux et des journalistes ont très tôt cherché à échapper à cette relation et ont souhaité établir les termes de leur indépendance, à travers leurs lecteurs. Mais ce ne fut pas un mouvement général. Ainsi, durant la Révolution, les nombreux journaux critiques sont presque tous liés à des partis ou à des chefs politiques dont ils dépendent financièrement. Aux 19e et 20e siècles, beaucoup de médias seront liés avec des milieux financiers, des partis ou des gouvernements.
Second niveau de banalité, le quantitatif. Au delà des titres les plus connus (des quotidiens, des hebdomadaires d’information générale, des magazines grand-public), il existe un très grand nombre de médias à faible notoriété. Les services statistiques en France en étudient quatre mille, estimant qu’ils ont un poids économique certain. Mais au-delà, on estime à plusieurs dizaines de milliers les journaux qui sont édités par des organisations sociales, des entreprises, des associations, des administrations. Le contenu de ces médias de sources est très fortement marqué par les structures qui les créent et les financent, on peut légitimement parler d’une information contrôlée par les sources, mais cela n’enlève rien au caractère public de ces médias, et rien au fait qu’ils sont lus et appréciés.
C’est là que le travail de F. Sant’anna prend tout son sens. Tout d’abord, il fait émerger un phénomène délaissé, voire nié, par les médias dominants comme par les chercheurs qui les étudient. On peut comprendre que la recherche en sciences sociales se soient intéressée en priorité aux médias les plus visibles ; mais on doit souligner que cette démarche est venue valider une hiérarchie de valeurs qui classe les médias à partir de normes que la profession journalistique a elle-même établies, estimant qu’un média financé par les lecteurs et les annonceurs était nécessairement meilleur qu’un autre payé par une source, ce qu’il faudrait prouver. En effet, si la dépendance financière à l’égard d’une source pose la question de l’autonomie de l’information, la dépendance à l’égard du marché peut poser cette question de la même manière. En France, nous pouvons aisément citer des journaux en marché traditionnel (dépendants des annonceurs et des acheteurs) qui proposent une information de très mauvaise qualité alors que d’autres, financés par l’argent public, font un travail sérieux (et néanmoins contraint par la relation avec la source de financement, c’est certain). Ainsi, la perspective de F. Sant’anna fait éclater ce cadre normatif et vient interroger le sens de ces médias, leur place dans le paysage médiatique, leurs relations avec les publics directement et au travers des autres médias. L’information est un concert médiatique et il faut comprendre la place de ces instruments particuliers et en très grand nombre que sont les médias de sources.
Enfin, la recherche de F. Sant’anna participe d’une interrogation désormais partagée par de nombreux chercheurs : qu’est-ce que le journalisme, qu’est-ce qu’un journaliste ? Comment penser ces catégories par rapport à d’autres activités d’information et de communication ? On sait que ces termes traduisent, selon les époques et selon les lieux, des réalités assez différentes. Par exemple, l’assesseur de presse est considéré comme un journaliste au Brésil, pas en France. Il faut donc penser non pas des catégories étanches qui figent des normes à partir d’une réalité sociale localisée et datée, mais concevoir la dynamique qui préside à la création et à la transformation des activités d’information médiatique. Si le phénomène des médias de sources est historique, il prend une ampleur sans précédents ; le nombre de ces médias ne cesse d’augmenter et de se diversifier (radios, télévisions, sites internet) et il nous faut comprendre comment il participe à la dynamique de transformation du journalisme et de l’espace public.
Cette démarche scientifique qui refuse d’adopter les normes et d’en formuler de nouvelles s’oppose donc à l’essentialisme qui nous semble marquer de nombreuses recherches passées sur le journalisme ; celles-ci ont trop souvent recherché la pureté professionnelle, le cœur du métier, l’excellence professionnelle. En s’intéressant aux univers médiatiques généralement considérés comme périphériques et illégitimes malgré leur poids historique et quantitatif (ici les médias de sources), ces recherches nouvelles dans lesquelles s’inscrit F. Sant’Anna veulent penser le journalisme et le journalisme à partir des territoires où il se réinvente, où il se renouvelle, où il se repense, où il se reforge à partir des mêmes matériaux et des mêmes outils. Paradoxalement, un certain essentialisme marque à son tour ces recherches qui visent peut-être à dire le cœur en observant les membres ou la peau du phénomène.

Denis RUELLAN
Professeur des universités
Université de Rennes 1
IUT de Lannion
CRAPE (UMR CNRS 6051)