Colloque international
Journalisme, sociologie, ethnologie, histoire, littérature, science politique
Expériences / pratiques / représentations de l’immersion en sciences sociales et journalisme
Rennes, 20-22 novembre 2013
Organisé par le CRAPE – UMR 6051
CNRS, l’Université de Rennes 1, IEP de Rennes, EHESP Rennes
Comment mieux comprendre et décrire un univers social qu’en se plongeant au cœur de sa réalité, en partageant la vie de ses acteurs, en l’observant au plus près jour après jour, en masquant, en taisant ou en faisant taire tout ce qui relèverait de l’extériorité de la condition d’observateur ? Depuis longtemps les analystes, descripteurs et « raconteurs » de « mondes sociaux » (anthropologues, ethnologues, journalistes, sociologues, écrivains…) ont défendu le recours à la pratique de l’immersion à la fois pour saisir ce qui par d’autres approches resterait inconnu ou caché, susceptible – comme forme d’engagement « total » – de révéler des vérités plus « sensibles » en laissant une part aux affects. Largement diffusés auprès d’un public peu familier des sciences sociales les récits de Florence Aubenas, Elsa Fayner, Claire Checcaglini, Sebastian Junger ou plus loin de nous Günter Wallraff, sur des univers sociaux souvent délaissés (précaires, immigrés…) ou réputées difficiles d’accès (armées, partis politiques) par le quotidien des journalistes ont constitué des tentatives remarquées pour dépasser les routines de l’enquête journalistique. Une part des journalistes qui, aux Etats-Unis, ont redonné dans des magazines ses lettres de noblesse à cette tradition revendique même le label de « journalisme d’immersion ». Mais le principe de l’immersion connait aussi une actualité abondante en sciences sociales (cf. par exemple les travaux de D. Bizeul sur le Front National, de L. Wacquant sur la boxe, de M. Avanza sur la ligue du Nord, de Ph. Bourgois sur les dealers de crack à New-York ou de D. Fassin sur les BAC), non sans susciter – en premier lieu de la part des auteurs eux-mêmes – des interrogations sur le statut de l’observateur et la valeur spécifique de ce qui serait ainsi « découvert » ou « rapporté ».
Ce colloque a vocation à questionner de manière critique le principe de « l’immersion » en confrontant les rapports que le journalisme et les sciences sociales entretiennent avec cette pratique. Si le mot recouvre des réalités multiples (dans le temps passé, le mode d’observation, la nature de l’engagement, la relation de l’expérience, la prise de distance ou le rapport à l’extériorité avec le milieu observé, notamment) et que les finalités apparaissent distinctes dans le journalisme et dans les sciences sociales (ce qui ne fût pas toujours le cas cf. Robert Park et ses rapports avec le journalisme), il apparait que beaucoup d’expériences d’immersion se justifient souvent autour de l’impénétrabilité d’un espace social ou d’une activité, le dépassement des limites habituelles des observateurs extérieurs et la fécondité des connaissances acquises par ce moyen. Les expériences d’immersion soulignent aussi la conversion durable de l’observateur, de ses principes de jugement et de ses catégories d’appréhension.
Par bien des côtés, donc, les expériences d’immersion s’imposent comme des pratiques déjouant toute critique par la singularité de l’expérience, les formes d’abnégation qu’elles impliquent, l’originalité des connaissances produites incomparables à celles obtenues par d’autre moyens . Faut-il voir dans cela une forme « d’héroïsation » de l’observateur en sciences sociales comme en journalisme ? Au delà des profits spécifiques engendrés par l’immersion peut-on aussi en analyser les limites ? L’immersion s’impose-t-elle par rapport à des univers sociaux spécifiques ou résulte-t-elle d’une distance sociale et d’une division du travail social qui ne permettraient plus le recours à d’autres moyens d’observation ? Dans quelle mesure l’écho que rencontrent les expériences d’immersion contribue-t-il à des transformations de la compréhension ?
Nous nous proposons donc d’organiser sur trois jours un colloque qui mette ces questions en débat. Il a vocation à faire se côtoyer et échanger universitaires et journalistes, à combiner les formes d’un colloque académique classique avec des moments d’ouverture vers un plus large public (conférences, films inspirés de reportages ou enquêtes en immersion à partir desquels un débat pourrait se nouer). Notre dessein est aussi de combiner la forme classique de communications présentées sur un thème fédérateur durant une demi -journée, et l’écoute de grands témoins, faisant si possible dialoguer des journalistes et des chercheurs.
Les propositions de communications pourront se formuler autour de trois thèmes ;
Axe 1 : L’immersion, une vielle histoire ?
Une histoire des pratiques d’immersion reste à faire. Les noms de London (The People of the abyss, 1903), Orwell (Down and out in Paris and London, 1933), Walraff (Tête de turc, 1986) en journalisme et littérature ; de Malinowski (Les argonautes du Pacifique occidental, 1922), de Whyte (Street corner society, 1943), Becker (Outsiders, 1963) ou encore Goffman (Asylum, 1961) sont célèbres, mais d’autres expériences antérieures ou parallèles n’ont pas connu la même postérité. Comment d’hier à aujourd’hui s’est justifié le recours à cette pratique ? Comment ces expériences ont-elles été pensées par leurs auteurs ? Quelle réception ces travaux ont-ils suscité chez les spécialistes ou auprès d’un public plus large ? En quoi le recours à l’immersion est-il contingent ?
Les propositions s’attacheront à l’analyse d’une ou plusieurs expériences en les resituant dans leurs singularités, leur histoire, leurs problématiques en fonction d’angles d’attaques propres aux différentes disciplines (anthropologie, histoire, littérature, sociologie) ou pratiques professionnelles (littérature, journalisme…).
Axe 2 : L’immersion, quelle actualité en journalisme et sciences sociales ?
En lien avec l’axe précédent, les propositions s’intéresseront à des exemples récents en journalisme et sciences sociales pour s’interroger au présent sur les enjeux de l’immersion. Les pratiques d’immersion renvoient souvent à l’observation de milieux qui resteraient imperméables à d’autres approches. Quels milieux, professions, univers sociaux, organisations « imposeraient » aujourd’hui la pratique de l’immersion ? Quels présupposés sont engagés dans le recours à cette pratique ? Quelle image de l’observateur construit, volontairement ou non – le recours à l‘immersion ? L’immersion permet-elle de dépasser les problèmes classiques d’observation ? Quelles relations les enquêtes menées en immersion entretiennent-elles aujourd’hui avec d’autres formes plus classiques d’observation ethnographiques ? Quel sens donner à l’engagement « corps et âmes » requis par les pratiques d’immersion ? Dans quelle mesure l’immersion ne renvoie-t-elle pas implicitement – par ce qu’elle prétend dévoiler – plus manifestement que d’autres formes d’observation à une volonté de transformation de la réalité sociale ? …non sans ambiguïté : « il serait politiquement délicat de donner des pauvres une mauvaise image, mais je refuse d’ignorer ou de minimiser la misère dont j’ai été le témoin ; agir autrement serait me rendre complice de leur oppression » écrit notamment Ph. Bourgois, résumant ainsi certains des paradoxes de l’immersion.
Axe 3 Ecrire l’immersion
L’immersion la plus réussie se trouve face à un double défi. Comment restituer en images, en photos, en mots le kaléidoscope des impressions, émotions, choses vues et acteurs ? Il y a là en premier lieu un enjeu d’écriture. Existe-t-il des façons plus justes, plus respectueuses, plus adéquates pour restituer le terrain ? L’enquêteur doit-il s’effacer ou se mettre en scène ? Quelle place donner à des dialogues, à des descriptions fouillées (Geertz), faut-il risquer des techniques comme le monologue intérieur ? Autant de questions qui font l’objet de débats entre journalistes (Boynton,, 2005) mais aussi chez des chercheurs. Un autre enjeu des choix d’écriture tient aussi à l’équilibre entre le comprendre et l’expliquer. La meilleure restitution d’un terrain, de l’expérience de ses protagonistes peut-elle faire sens des causalités qui peuvent se trouver dans des mécanismes macro-sociaux, des espaces extérieurs à ceux de l’enquête ? Ici aussi les stratégies mises en œuvre peuvent varier, d’un parti plus explicatif chez des journalistes qui se revendiquent du « muckracking » (Schlosser, Hallinan aux USA), à des mises en perspectives dans des paratextes comme préfaces ou postfaces pour d’autres (A. Nicole Leblanc, L. Dash). Comment les spécialistes de sciences sociales font-ils, de leur côté, face aux coûts et rendements de formes d’écriture plus narratives, à la suspicion éventuelle de cultiver le pittoresque ?
Les contributions pourront ici être de la part de leurs auteurs des retours sur des expériences de recherches, des analyses de pratiques dans les domaines du journalisme (anciennes ou récentes) et des sciences sociales, elles pourront questionner plus largement la dimension de l’écriture en sciences sociales et en journalisme, des outils mais aussi des interdits implicites qui définissent les manières légitimes et illégitimes d’écrire le social.
Les propositions s’interrogeront sur ces aspects en traitant à travers l’analyse d’un ou plusieurs exemples pour reformuler la question centrale posée par Becker à propos des « artistes écrivains et chercheurs » formulée dans le titre de l’un de ses ouvrages (Telling about society, 2007), en s’interrogeant sur l’immersion comme un moyen d’approcher et rendre compte d’une réalité, bref de résoudre empiriquement le problème que pose tout projet de « parler de la société ».
Ce colloque international aura lieux pendant trois jours à Rennes en novembre 2013.
Comité d’organisation : Géraud Lafarge, Christian Le Bart, Pierre Leroux, Erik Neveu, Roselyne Ringoot, Sami Zegnani.
Comité scientifique : Daniel Bizeul, Sociologue, CRESPPA-CSU ; Didier Demazières, chercheur CNRS, CSO-Sciences Po ; Dominique Pasquier, directrice de recherche CNRS, Ecole Nationale Supérieure des télécommunications ; Michael Palmer, Professeur émérite, Université Paris 3 ; Marie-Eve Therenty, Professeur, Université de Montpellier III, Nicolas Mariot, Chargé de recherche au CNRS, CURAPP.
Modalités de proposition d’une communication
Langue de la proposition : français, anglais, portugais.
Langue du colloque : français, anglais, portugais.
La proposition de contribution devra être présentée comme suit :
Soumission des propositions
Votre proposition en format WORD, ODT ou PDF sera adressée par voie électronique en parallèle à Pierre Leroux ( pierre.leroux@uco.fr ) et Erik Neveu ( erik.neveu@sciencespo-rennes.fr ).
Date limite de soumission des propositions : le 15 février 2013
Évaluation des propositions
Chaque proposition fera l’objet d’une évaluation par deux membres du comité scientifique.
Les auteurs des propositions retenues seront informés par voie électronique avant le 1er avril 2013.